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« L’odeur de la gare, comment la définir ? »

Les yeux posés sur le quai, Marianne Bernstein, attend le départ imminent du train.

« La transpiration du métal tiède et graisseux ou la fumée des machines qui crapotent des mégots de vapeurs ? »

Des souvenirs sans suite glissent sous son regard : L’été, sa mère à Deauville, son frère partant pour l’Algérie…

- Attention quai numéro 11 le train 10524 en direction de Port-Bou, va partir. Ce train desservira les gares de Dijon, Chalon sur Saône, Lyon Perrache, Valence, Montélimar, Avignon, Tarascon, Orange, Nîmes, Montpellier, Frontignan, Sète, Béziers, Narbonne, Perpignan et Port-Bou….

Un sifflement couvre la voix du haut parleur. Le claquement sourd et lointain des dernières portières qui se ferment fait place aux premiers grincements des roues qui effleurent les rails.

Les panneaux émaillés Gare de Lyon défilent, puis le quai disparaît, la verrière s’envole, et les rues de Paris, leurs cafés, leurs boulangeries et leurs tabacs surgissent tout près de la vitre, en dessous, comme dans une immense maquette, pour brusquement s’éloigner et s’amenuiser au fil des aiguillages, des rails et voies de garage. Les premières gares de banlieue surgissent et s’envolent comme les cartes sous le vent. Le bruit saccadé des roues fait place à celui d’un métronome, et lentement une ronde monotonie emplit le compartiment d’un confort dont les fauteuils en velours cramoisi deviennent l’écrin La rêverie du voyage commence. Les yeux se ferment et l’esprit vogue nulle part, sans aucune pensée, jusqu’au point de somnolence.

Un léger bruit de porte qui coulisse tire Marianne de son bien être. La silhouette d’un jeune homme se glisse vers le premier fauteuil, vérifiant un numéro de place.

- Bonjour, Mademoiselle
- Bonjour, Monsieur
- Ouf ! …J’ai failli rater le train…
- Ah…
- J’ai dû courir sur le quai et monter dans le dernier wagon…
- Vous avez eu de la chance…
- Oui…

Pendant que le jeune homme s’installe à sa place, Marianne détourne son regard vers la vitre derrière laquelle défilent maintenant d’immenses champs parsemés de lignes électriques dont les pylônes se déplacent à grande vitesse comme les géants d’une armée de fer.

- Je me présente : Charles Mourier, journaliste au Journal de la Seine.
- Enchantée.
- Si je n’avais pas pu attraper ce train, je ne pense pas qu’il y ait un autre train pour Nîmes.
- Je ne crois pas… Je descends aussi à Nimes…
- Ah ! vous aussi, vous vous rendez à la corrida de samedi ?
- Non pas du tout…
- Désolé, je suis parfois d’un naturel un peu trop curieux…
- Je vous en prie.

Un étrange silence s’ensuit. A nouveau le bruit feutré de la porte attire l’attention.

- Mesdames, Messieurs, bonjour, contrôle des billets.

Le contrôleur poinçonne les deux billets, en rajoutant :

- Arrivée Nîmes 17 heures 37, premier service voiture restaurant 11 heures 30, deuxième service 12 heures 30. Le maître d’hôtel va passer pour les réservations de table. Au revoir et bon voyage.

La porte du compartiment refermée, un nouveau silence se creuse.

- Je n’ai jamais voulu voir de corrida…c’est incompréhensible pour moi…
- Et pourtant c’est tellement beau...
- Peut-être, mais ma sensibilité ne supporterait pas la cruauté…l’inégalité des chances…peut-être même la seule vue du sang…me…révolterait...
- Peut-être.
- Vous allez couvrir l’événement pour votre journal ?
- Oui. Je vais assister à cette corrida pour écrire un article sur Miguel del Saro, un toréador exceptionnel, assez peu connu en France, une virtuose de la tauromachie…
- Curieusement lorsqu’on me parle de toréador, je pense toujours à Escamillo…
dans Carmen, l’opéra comique de Bizet… Escamillo, c’est le rival de Don José, que Carmen abandonne…C’est un peu l’idée que je me fais d’une corrida : cruauté, rivalité, orgueil, trahison, fanfaronnade, meurtre…
- On pourrait aussi dire : volonté, fierté, fidélité, prestige, courage…
- Oui, je suppose…c’est une question de choix.
- Vous aimez l’opéra ?
- Oui, c’est presque mon métier.
- Vous êtes une artiste lyrique ?
- Non pas du tout, je suis violoniste…et je vais à Nimes pour donner un concert, dimanche soir, dans le cadre d’un festival de musique espagnole. Connaissez-vous Nîmes ? Je n’y suis jamais allée.
- Je peux vous conseiller, car je connais assez bien la ville où je me rends chaque année pour la même raison...
- Merci, c’est aimable de votre part, mais mon impresario a déjà tout prévu, l’hôtel, les répétitions, les taxis…les détails pratiques en somme.
- Qu’est-ce que vous allez jouer…interpréter ?
- La Symphonie Espagnole d’Edouard Lalo, c’est une œuvre contemporaine de Carmen, qui, effectivement, est un concerto pour violon….Mais... Vous n’aimez peut-être pas trop la musique...classique
- Si, mais la musique classique est un mystère pour moi. Elle paraît si abstraite, si inaccessible, si rarement expliquée…
- La musique ne s’explique pas.
- Mais quand on a la chance de rencontrer une soliste comme vous, il est peut-être permis de poser quelques questions….

Elle rit.

- Oui, bien sûr.

La porte du compartiment, glisse une nouvelle fois.

- Madame, Monsieur, bonjour. Service de restauration. Les déjeuners seront servis à 11 heures 30, premier service, et à 12 heures 30, deuxième service. Souhaiteriez-vous réserver une table pour l’un ou l’autre des services ?

Les deux voyageurs échangent un bref regard.

- Quel service préférez-vous, le premier ou le second ? Je vous invite…
- Mais… je ne sais pas…je…
- Disons le second ?
- Oui, mais...
- D’accord second service, une table près de la fenêtre…vous avez la carte ?
- Seulement à table, Monsieur.
- Bon, réservez au mon de Mourier pour 12 heures 30.
- Bien monsieur, c’est noté. Bon voyage et à plus tard.

Le maître d’hôtel s’éclipse en refermant la porte, et quelques secondes de silence s’écoulent.

- C’est très gentil de votre part, mais votre invitation m’embarrasse…
- Je comprends parfaitement votre objection, nous partagerons l’addition en deux !

Il éclate de rire

- Je plaisante bien entendu. Je suis ravi que vous ayez accepté. Vous auriez peut-être déjeuné, seule, au premier service, et moi, seul au second.

A son tour, elle éclate de rire.

- Oui probablement, mais…
- Ah, vous ne pouvez plus revenir sur ce sujet !
- Merci en tout cas.
- Ainsi, vous êtes, une violoniste très connue, et je vous présente toutes mes excuses pour ne pas vous avoir demandé un autographe plus tôt, et c’est d’ailleurs pour me faire pardonner cette goujaterie que je vous ai invitée à déjeuner…
- Merci encore mais je ne suis pas aussi renommée que vous l’imaginez.
- Comment devient-on soliste ou plutôt comment vous, êtes-vous devenue soliste ?
- En travaillant sans répits !
- Tous les jours !
- Oui tous les jours, sans exception !
- Et comment avez eu l’idée de devenir soliste ?
- En écoutant mon père…
- Qui était lui aussi violoniste… ?
- Non professeur de violoncelle au Conservatoire de Bordeaux….

Le train poursuit sa course traversant les campagnes, enjambant des viaducs et sifflant par instant près de villages ou de villes dont on a la plus grande peine à reconnaitre le nom fuyant sous la vitesse. La conversation entre les deux voyageurs devient de plus en plus intime. Marianne parle de musique, d’instruments et de chefs d’orchestre, Charles, de bureau, de colonnes, de missions. Le matin dont les
heures s’écoulent sous des cieux sans cesse différents, change le décor du compartiment, la couleur de la moquette ou celle des boiseries. Après Dijon, un deuxième contrôle de billets interrompt pour un instant leur dialogue, puis juste avant Lyon la clochette annonçant le premier service s’approche, passe et s’évanouit. La gare de Perrache, et sa haute verrière se collent contre la vitre et s’immobilisent. Des hauts parleurs annoncent des arrivées, des charriots de bagages longent les quais, des hommes en costume montent ou descendent de trains, qui vont ailleurs. Nouveau coup de sifflet, le train repart. Le temps en voyage déplace la pensée.

Une heure à peine écoulée, la cloche aigrelette du second service s’approche, frôle le comportement puis s’évanouit encore une fois. Les deux voyageurs quittent leur place, longent les étroits corridors de deux voitures et traversent trois soufflets dont le bruit terrifiant amuse Charles. Dès le premier passage, il propose à Marianne de lui tenir la main au-dessus de la plateforme vibrante et instable. Elle la prend. La douceur de sa paume émeut Charles. Arrivés dans la voiture restaurant le maître d’hôtel les place autour d’une table isolée Soupe vichyssoise, sole meunière et rôti de veau. Le déjeuner est excellent, le vin choisi par Charles, léger, scintille dans une carafe en cristal légèrement agité par le balancement du wagon. Déjà le Rhône borde la voie de son ruban d’argent. Le luxe d’un déjeuner à bord d’un train, aux côtés d’un inconnu, amuse Marianne.

- Bien sûr, lorsque nous avons quitté Le Caire, mon frère a poursuivi ses études de musique à Paris. Il est devenu le plus jeune chef d’orchestre de France et tout le monde en convient, son extraordinaire sensibilité et sa virtuosité en font un musicien très recherché…
- Vous avez déjà joué ensemble, je veux dire : travaillé ensemble ?
- Oui à plusieurs reprises, nous avons même gravé un disque ensemble. Les maisons de disque aiment les clans de famille !
- On peut le trouver ?
- Oui bien sûr.
- Qu’est ce que vous avez enregistré ?
- Le Premier Concerto pour Violon et Orchestre de Tchaïkovski sur la première face et La Mer de Debussy sur l’autre face. Mon frère est …très exigeant et je lui dois la rigueur dans le travail…mais c’est un être fragile, parfois inattendu, qui donne l’impression d’un tyran capricieux, alors qu’il...ne cherche que la justesse du son, la vérité du tempo, la couleur des nuances.
- Pourquoi avez-vous quitté Le Caire ?
- Ma mère a développé une maladie de peau. Mon père n’a pas hésité un seul instant. Nous sommes tous revenus à Paris d’abord puis à Bordeaux, mais ma mère a dû s’installer en Normandie, pour un temps, près de sa famille. C’est alors que Jean a été appelé en Algérie, pour deux ans. Il en est revenu différent. Il a repris ses études mais il a donné de moins en moins de concerts. Sa jeunesse souffrait, cela se ressentait dans son approche musicale. Voyez-vous la musique est certes un divertissement, mais elle reste avant tout, une expression de l’âme.
- Comme tout ce que vous dites est beau...

Elle rit.

- Non, tout ce que je dis est banal ! Cessons de parler de moi…Vous ne m’avez pas beaucoup parlé de vous depuis ce matin.

Le maître d’hôtel s’approche discrètement pour prendre la commande des cafés.

- Oui, deux, merci. Une liqueur ?
- Non merci.
- Pourquoi pas ?, Nous ne sommes pas encore arrivés.
- Non vraiment, merci.
- Alors seulement. deux cafés, s’il vous plait.
- Bien monsieur.

Le maître d’hôtel disparaît.

- Ma vie n’a rien de bien prestigieux. J’ai fait des études de littérature espagnole et de droit, puis je me suis engagé dans le journalisme. J’ai eu beaucoup de chance, j’ai rencontré des hommes et des femmes d’influence, j’ai écrit quelques belles pages, mais rien de vraiment…extraordinaire J’aime mon métier parce qu’il me permet de vivre de ma passion. Il y a très peu de journalistes spécialistes de la tauromachie, alors on fait souvent appel à moi pour couvrir les grandes corridas, ou pour en parler à la radio. Il n’y a aucun mérite à parler de ce que l’on aime ! C’est presque un jeu, mais un jeu dans lequel je partage l’arène avec les plus grands toréadors !
- Qu’est-ce qui vous fascine dans ce rapport si cruel de l’homme à l’animal ?

Le maître d’hôtel dépose sur la table le sucrier en argent chiffré aux initiales de la Société des Wagons Lits, les deux cafés et une coupelle remplie de friandises.

- Merci
- Une corrida ne s’explique pas
- Comme la musique…
- Oui peut-être. D’abord il y a le taureau. Il faut le choisir. C’est lui qui décide de la corrida…
- Comment ?
- Je veux dire que c’est à lui qu’appartient le succès ou l’échec du combat. Il n’a pas plus ni moins de chances que le toréador, mais il est l’enjeu de la confrontation. Il est né quelque part en Espagne dans une Ganaderia,
- Une manade ?
- Oui c’est ça. Il porte en lui, toute une tradition que l’éleveur lui transmet de sa naissance à sa mort. L’animal est un noble, destiné au combat comme un enfant de Sparte, un samouraï, ou un baron de Saint Louis…
- Vous n’êtes jamais effrayé devant la puissance d’un taureau…je veux dire le danger…la bestialité…
- Non, au contraire. Je l’admire pour son courage, sa noblesse, sa souveraineté face à l’homme…c’est un champion qui entre en tournoi, comme au moyen âge.
- Mais il meurt…
- Oui, dans presque toutes les corridas, mais sa mort n’est pas une défaite…
- Je ne comprends pas bien…

Le train siffle dans un tunnel et le wagon devient brusquement une bulle de nuit. Après deux autres cafés, les voyageurs rejoignent leur voiture, poursuivant leur conversation en longeant les couloirs étroits que quelques autres voyageurs sillonnent par besoin de distraire leur esprit ou de dégourdir leurs jambes. Arrivés à leur compartiment, ils découvrent un couple assis face à face près de la fenêtre. Le monsieur se lève, en s’excusant d’avoir occupé une des places, pendant que la dame vérifie le numéro de la sienne.

- Je vous en prie, restez ici près de Madame, je ne tiens pas particulièrement à regarder le paysage
- Merci, Madame, sinon je m’assieds à côté de ma femme…
- Non, non, ça n’a aucune importance…

Marianne se retrouve directement face à Charles.

- Je ne remarque pas votre violon ?
- Non pour des questions d’assurances, mon impresario le fait livrer à mon hôtel
par une messagerie spécialisée dans le transport d’objets…précieux.
- C’est un Stradivarius ?

Elle rit.

- Non ! il n’y a pas que les Stradivari qui ont besoin de garde du corps ! C’est en fait le violon de mon père. Il me l’a offert, je devrais dire transmis…les violons sont comme les rivières de diamants, ils glissent de génération en génération. Mon premier concert… je l’ai donné à Bruxelles et j’avais choisi la deuxième partita de Bach…il y a quelques années déjà…
- Je suis comme dans un rêve… Vous enchantez mon voyage…mais je ne pourrai pas entendre votre violon, puisque il ne voyage pas à vos côtés.
- Si cela vous amuse, je vous invite au concert, dimanche soir, 19 heures trente, au théâtre municipal. Vous l’entendrai…sous la direction de Raymondo Plazzi !
- Superbe idée ! j’accepte avec le plus grand plaisir
- Ainsi je vous rends votre invitation pour un excellent déjeuner par une place de concert…je ne suis pas perdante !
-
Ils rient

Un autre contrôleur passe, annonçant que le train serait à l’heure à Avignon, pour les correspondances. La douce lumière du midi commence à recouvrir les montagnes et les vallons d’une riche dorure. Des ponts anciens se profilent le long des routes de campagnes. Des automobiles perdent la course contre le train. Des enfants heureux agitent leurs bras dans les jardins. Les clochers de village percent le ciel de leurs flèches qui tournent comme une aiguille derrière la vitre. Le couple somnole. Le train s’arrête plusieurs fois, barrant une gare sur la liste du trajet. Charles continue à parler des taureaux, des règles, des grands toréadors, des arènes. Marianne s’étonne en découvrant un monde qu’elle a toujours voulu ignorer en refusant l’idée d’une mort gratuite et brutale. Pendant que Charles parle avec passion de l’art des toréadors et de la magie du spectacle, l’image de son frère lui apparaît, ce frère que la guerre d’Algérie a durci.

« La corrida et la guerre, deux mots, deux combats, deux malheurs…»

Elle ne peut pas détacher sa pensée de ces réalités cruelles, et pourtant elle écoute, sans poser de questions, car elle comprend que Charles lui ouvre son trésor. Elle regarde ce jeune homme avec étonnement, presque avec émoi. Elle remarque, à peine maintenant, son visage carré, ses yeux noirs, ses cheveux bouclés, sa bouche immense et ses dents parfaites. Son allure de reporter fait sourire. Elle suit discrètement du regard les larges épaules qu’une chemise blanche à col ouvert emprisonne. Lentement elle le découvre sans laisser paraître le moindre signe de son observation.

- C’est la prochaine.
- Déjà ?
- Oui, le temps passe vite… il est cinq heures moins dix. Vous descendez à quel hôtel ?
- Le Clos Fontaine
- Magnifique hôtel. Je n’ai pas pu y avoir de chambre, alors je loge à L’Hôtel des Arènes, un peu moins prestigieux mais au cœur même de Nîmes. Si vous me le permettez, je vous accompagne. Nous pouvons prendre un seul taxi.
- D’accord, mais c’est moi qui règle la course.
- D’accord, mais qu’est-ce que je peux faire pour compenser l’invitation ?
- Trouvez-moi une entrée dans les arènes, samedi après midi…la presse a souvent de très bonnes places, non ?
- Vous viendriez assister à la corrida ?
- Pourquoi pas ? Vous pourriez m’expliquer…
- Je suis au comble de la joie. Vous viendrez vraiment ?
- Bien sûr, je tiens toujours mes promesses…
- Je suis sûr que vous allez découvrir quelque chose de grandiose et de tellement…
- Tellement spectaculaire !
- Je viens vous chercher à 15 heures à votre hôtel.
- D’accord.
- Ah !…un détail : qui dois-je demander ?

Elle éclate de rire.

- Marianne Bernstein. Je suis dans la suite…provençale, je crois. La réception me préviendra. Je serai prête. Un autre détail : comment dois-je m’habiller ?
- Comme Carmen !

A nouveau elle rit aux éclats.

- Je plaisante. Il fait très chaud aux arènes. N’oubliez pas le chapeau de paille et les lunettes de soleil.
- L’éventail ?
- Indispensable !

Le train ralentit. Les deux voyageurs se préparent à longer le couloir du wagon jusqu’à la plateforme de sortie, encombrée de bagages. Ils saluent le couple en leur souhaitant une bonne fin de voyage. Il l’aide à descendre les hautes marches du wagon. Elle lui sourit pour sa galanterie. Ils marchent vers la sortie. Ils rendent leur billet de train à une employée serrée dans la petite guérite. L’air de la ville est sec, chaud, doré et parfumé d’un fond de jasmin. Il interpelle un taxi, qui la dépose à son hôtel en premier, ils feignent un joyeux désaccord pour la course :

- Vous aviez promis d’accepter que je règle la course…
- Oui mais j’ai changé d’idée… car c’est moi qui vous accueille à Nîmes
- A demain trois heures…
- A demain…merci encore…pour…
- Pour le taxi ?
- Oui !

Ils se séparent sur un dernier éclat de rire.

La symphonie espagnole, il ne la connait que de nom, au mieux il en a entendu quelques notes à la radio. Pourquoi l’avoir invitée à cette corrida, malgré elle ? Elle a accepté par politesse, sans aucun doute, mais plusieurs heures de combat l’écœureront. Il regrette sa légèreté, son faux pas, son manque de tact. Elle va, sans question, réfléchir, et lui faire dire qu’elle ne viendra pas sous un prétexte quelconque. D’ailleurs, il sait qu’elle ne viendra pas. Quelques heures à peine avant le concert, elle sera naturellement très tendue, nerveuse et peut-être même anxieuse. Elle a été tout simplement polie en lui laissant croire qu’elle avait envie de venir. Elle doit se concentrer sur le concert et elle ne peut disperser ses pensées…Charles marche le long des allées déjà illuminées par les restaurants, et instinctivement va s’asseoir à la terrasse d’un des cafés où se retrouvent les aficionados. La Bodega est bondée, et des rires fusent de tous côtés. On ne parle que de lui : Miguel. L’affiche de la corrida placardée au-dessus du comptoir le montre sous des traits que l’artiste peintre a mis en valeur par un coup de crayon vif et coloré. Charles aime ces affiches peintes. Elles traduisent toute la corrida, la grâce et la puissance, le sang et l’or, l’extase et la peur. Ce sont toutes des chefs d’œuvre. Il demandera aux organisateurs de lui en offrir une. C’est le privilège du journaliste. Les passionnés les collectionnent comme les amoureux de l’opéra les programmes ou les billets de place qui ont une date. C’est une façon d’immortaliser l’instant unique de la passion. Sur cette affiche Miguel del Saro porte un habit violet piqué d’étoiles d’or. Son corps svelte et cambré se détache sur la cape rose fuchsia dont un angle laisse apparaître la doublure de soie dorée. Le taureau dont les flancs percés de banderilles tremblent de douleurs, lance un regard furieux vers la foule…En lettres rouges et noires le nom du toréador crève la scène à la manière de ces affiches de grandes productions américaines des années 40. C’est l’encre des affiches, qui fascine le spectateur avant le spectacle.

La nuit commence à tomber sur la ville et l’on entend quelque part une banda crever le ciel de ses cuivres aigus que des cris de foule soulignent de leur pétulance. Une fièvre s’empare de presque tout le monde : les vieillards assis sur les bancs des places et le long des avenues, les enfants au balcon qui attendent l’ordre d’aller se coucher, les filles en droit de descendre dans la rue jusqu’à dix heures pour parader, et les hommes tapageurs qui frappent sur les tables de fer blanc. Petit à petit Charles se délecte de ce nectar de feria, qui précède toujours les corridas. L’anis et la poussière se marient à l’air du soir. C’est la vieille.

En tournant les pages de la partition, elle relit les passages les plus difficiles. Mais elle a du mal à se concentrer C’est peut-être à cause du bruit de la rue, sourd mais suffisamment pénétrant pour traverser le silence de sa suite.

- Entrez
- Bonsoir, Madame, un Monsieur est à la réception pour vous. Il doit vous remettre un objet d’importance en main propre. Je lui ai dit…mais il insiste.
- Merci, je vous suis.
- Après vous, Madame.

En descendant le grand escalier de marbre, elle remarque la joyeuse agitation qui remplit le hall de la réception.

- C’est toujours aussi…vivant chez vous ?
- Non, Madame, mais nous sommes complets à cause de la corrida de demain et les clients commencent à arriver…C’est une très grande fête.
- J’imagine.

Le réceptionniste la conduit vers un petit salon fermé, où elle rencontre un homme qui lui remet le violon, lui fait signer des documents, puis lui donne rendez-vous pour le surlendemain.

- Merci, je remonte seule dans ma suite. Est-ce que je peux commander un dîner léger ?
- Bien sûr, je vous envoie le maître d’hôtel ?
- Oui, c’est une excellente idée.

Seule, face à la partition, elle reprend son travail. Le maître d’hôtel l’interrompt, lui recommande une omelette aux truffes et une salade d’orange, puis il disparaît. Il revient quelques temps après en poussant un guéridon et lui demande si elle souhaite autre chose.

- Non merci
- Si vous ne voulez plus être dérangée par le service, il vous suffira de pousser le guéridon dans le couloir.

Elle dîne près d’une des fenêtres qui donnent sur un magnifique jardin intérieur. Elle prend son temps, contemplant la lumière crépusculaire se fondre lentement dans le feuillage des arbres et les fleurs plantées dans de grosses potiches de céramique bleue. A la fin du repas, après un long moment de silence et d’immobilité, elle repousse le guéridon dans le corridor.

Elle retire son violon de l’étui, l’accorde et joue sans même y songer un mouvement d’une partita de Bach. La vibration de l’archet la transporte. Elle oublie la chambre, la ville, le voyage, Paris, les murs mêmes de sa vie, et tombe dans une extase qu’elle connaît bien, celle du bonheur de jouer. Un peu plus tard, elle repose son violon dans l’étui qu’elle referme, et se couche dans un immense lit à baldaquin.

Il l’a troublée. Elle ne s’est jamais octroyé le temps ni même le droit de penser à un homme. L’amour, elle ne le connait qu’à travers la musique, l’opéra, ou la littérature. C’est presque une idée abstraite. Elle revoit son visage anguleux, son sourire, ses dents immaculées et le contour de ses épaules. Demain, elle se promet d’être moins distante, moins classique, moins inaccessible. Il l’a bien invitée à cette corrida mais ses amis verront tout de suite qu’elle n’appartient pas du tout au même monde. D’ailleurs ils comprendront vite que c’est la première fois qu’elle assiste à un tel spectacle. Peut-être qu’il ne viendra même pas la chercher, s’excusant pour ce contre temps par un bouquet de fleurs. Il y a tellement de raisons…Petit à petit le sommeil la gagne et elle s’endort.

- Bonjour, suite n°…5. Est-ce que je peux avoir un pot de café, deux croissants et de la confiture d’orange,….oui merci. Non pas de beurre…un jus de pamplemousse…merci.

La salle de bain inondée de soleil rayonne de mille couleurs différentes. La faïence provençale est une fête pour les yeux.

- Merci, déposez le plateau sur le guéridon.
- Bon appétit et bonne journée.
- Merci.

En ressortant de la salle de bain, elle s’approche du plateau et croque un morceau de croissant. Elle aperçoit une enveloppe à son nom. Elle l’ouvre et en retire une carte :

« Bonjour. J’espère que vous avez passé une bonne nuit. J’ai déposé pour vous à la réception un éventail et un chapeau de paille. Je passe vous prendre à trois heures, comme convenu.

Cordialement,

Charles »

Elle se met à rire de tout son cœur. Elle déjeune. Elle s’habille et descend jusqu’au comptoir de l’hôtel. Une foule de femmes élégantes papotent dans les fauteuils en attendant que des voitures viennent les chercher.

- Bonjour, Mademoiselle Bernstein.
- Bonjour, Monsieur Mourier a dû…
- Oui en effet il a déposé ceci pour vous.

Le réceptionniste montre un énorme bouquet dans vase en cristal et deux colis empaquetés dans un papier de soie rouge.

- Jean, notre liftier, vous les monte dans votre suite ?
- Oui,…merci.

En prenant l’ascenseur, elle croise une femme qui lui jette un coup d’œil complice. Malgré elle, elle ne peut s’empêcher de rougir.

Elle se regarde dans la psyché. Le chapeau de paille, très large, encercle son visage comme ces halos dorés que l’on peut voir autour des vierges d’icônes. La lumière filtrée au travers des fines mailles poudre son regard noir de mystère et de beauté. Elle joue avec l’éventail en soie, qu’elle s’exerce à déplier comme elle l’a vu faire dans les films. C’est son premier éventail. Jamais auparavant elle n’a possédé d’éventail. Le mouvement de son poignet est naturel et elle ne peut s’empêcher de penser à son archet.

Elle passe la matinée dans sa chambre. Elle mange une pomme à l’heure du déjeuner. Elle reprend un bain. Elle a déjà choisi de mettre une robe à la taille cintrée, blanche à petit pois rouge, des souliers à talons rouges, et un foulard en soie rouge. Elle n’a pas un grand choix mais elle se trouve splendide. Un dernier regard dans un miroir et elle quitte sa suite pour descendre dans le hall. A cet heure-ci, presque personne. Elle s’assied dans un angle qui lui permette de voir le tambour de l’entrée. Un serveur s’approche.

- Non, merci ; je quitte l’hôtel dans quelques minutes.

En relevant les yeux, elle l’aperçoit. Il s’approche d’elle, avec un sourire encore plus éclatant que celui dont elle se souvenait.

- Bonjour. Vous êtes absolument ravissante…
- Merci. Merci pour les fleurs. Elles m’ont beaucoup touchée. Quant au chapeau de paille, jugez par vous-même…
- Il était fait pour vous…

En quittant le hall, ils échangent encore quelques autres compliments en badinant. Ils marchent dans les rues chaudes d’un après-midi de printemps.

- Les arènes ne sont pas loin de votre hôtel et si cela ne vous gène pas, nous pouvons marcher un peu.
- Oui bien sûr.

Les façades des rues qui bordent les arènes sont magnifiques, classiques, sévères. Ils passent devant la splendide bâtisse de la Banque de France en s’approchant du monument romain. Elle laisse échapper un soupir d’admiration.

- C’est incroyablement impressionnant…
- On ne se rend pas compte à quel point ce joyau est unique…
- Je ne regrette pas du tout d’avoir accepté votre invitation, et sans vous je serais passé à côté d’un…
- Allez, je suis sûr que votre impresario a inscrit la visite des arènes à votre programme
- Non pas du tout. Vous savez, un concertiste ne regarde que la scène…rien ne doit le détourner du concert…

Elle rit. Ils entrent par une porte fermée au public. Il la guide à travers des allées couvertes qui passent sous les gradins. A chaque pas son cœur bat plus fort. Il lui prend la main pour l’aider à passer par des escaliers dont les marches sont irrégulières, comme dans le soufflet du train…D’intenses tâches de lumière pavent les pierres où les ombres des arches dessinent de profonds puits sombres. Déjà on entend les cris de la foule et plus ils s’approchent des gradins, plus la chaleur augmente.

- Nous avons des places à l’ombre…

Elle se laisse guider comme dans un rêve et lorsqu’ils ressortent du labyrinthe des espaces couverts, elle découvre l’immensité de l’amphithéâtre. Il observe sa surprise. Sans un mot il la conduit jusqu’aux sièges qui leur sont réservés.

- J’ai l’impression de plonger dans un livre d’histoire…de revenir vingt siècles en arrière…Ce monument est un vaisseau qui traverse le temps…, qui efface le présent…qui…

Il lui prend la main.

Alors le monde entier se métamorphose. La corrida commence. Les cuivres les trompettes et les tambours emplissent l’amphithéâtre de leur puissance annonçant un défilé de couleurs, de chevaux, de broderie, d’or, et de soie. La splendeur de la Rome antique se mêle à l’orgueil de l’Andalousie. Pendant de longues minutes la foule applaudit debout sur le gradin. Enfin ils entrent en scène, l’un face à l’autre. Le taureau d’une musculature de marbre impressionnante traverse la poussière dans une lourde course. Ce sont alors d’interminables passages de picadors sur les chevaux, ce sont les filets de sang et des vagues de « olè » Les innombrables postures du matador engendrent un ballet autour d’une épée et d’une cape. Le temps disparaît. Des milliers de voix qui entourent ce pas de deux d’une incroyable passion font battre deux cœurs, dont l’un ou l’autre perdra la vie.

Lorsque l’animal s’écroule, Marianne, pétrifiée, plonge son visage contre la poitrine de Charles. Les innombrables salves de joie et le tour des arènes la glacent ; elle paraît indifférente, insensible, absente. Comme presque toutes les femmes
pourtant, elle lance son éventail sous les pieds du héros, sans même s’en rendre compte.

Lorsque Charles la raccompagne à l’hôtel, elle garde le silence.

- Je vous invite à dîner ;
- Non merci. Je me lève tôt demain. Vous demanderez à la billetterie l’enveloppe à votre nom dans laquelle je glisserai votre billet pour le concert. Je ne vous verrai pas avant. Merci encore pour…
- Je vous en prie. Je vous verrai peut-être après…
- Oui, bonsoir.

Elle disparaît dans le tambour de la porte, happée par le brouillard des vitres gravées.

Charles s’éloigne à pas lent, se fondant dans le bruit de la fête qui envahit tout le centre autour des arènes.

- Vous avez dit Monsieur… ?
- Charles Mourier, M.O.U ...
- Ah…voilà, j’ai trouvé l’enveloppe.
- Merci.

Charles en retire le billet : Rang C place 13

Quand il pénètre dans la salle, ce qu’il remarque en premier, c’est l’odeur du velours mêlée à celle de la poussière sèche des immenses draperies du rideau de scène. Il s’assied à sa place. Des chaises sur plusieurs rangs en demi-cercle lui font face. Les pupitres sur lesquels sont posées les partitions fermées lui donnent l’impression intimidante d’un tribunal avant l’arrivée des juges. La salle commence à se remplir, un brouhaha monte sous la voûte, les sièges grincent. Les premiers musiciens commencent à s’installer, se penchant parfois vers leur voisin. Les portes de certaines allées se ferment. Les lustres s’éteignent lentement plongeant la salle dans une demi-obscurité. Un parfum de femme, élégamment, flotte près de lui. Un long silence précède une salve d’applaudissements. Elle apparaît, précédant le chef d’orchestre et se place au centre de la scène. Elle s’incline majestueusement, le violon retenu de sa main gauche, qu’un bracelet de diamant entoure d’un éclair de lumière. Le chef d’orchestre se met en place.

Dès les premières notes, son visage change. Elle est plongée dans un univers auquel Charles n’a pas accès. Qu’est-ce qui la transfigure au point d’apparaître comme inhumaine ? Une complicité de regards et d’imperceptibles mouvements s’établit entre elle et le chef d’orchestre. Par instants, elle touche son violon avec une telle légèreté qu’elle donne l’illusion du silence. Son corps dont la souplesse embellit la musique vibre d’une divine présence. Sa robe du soir, noire et décolletée, laisse voir ses bras nus et fins, et épouse chaque frisson de ses élans.

Entre chaque mouvement de la symphonie, pendant lesquels on étend crépiter dans la salle les toussotements longuement retenus, elle ne regarde rien ni personne. Elle reste suspendue au miracle de la musique.

Jusqu’à la dernière note, Marianne est irréelle. Trois rappels se succèdent. Elle entre en scène seule, elle donne en bis un mouvement d’une des partitas de Bach. Le public l’acclame encore et encore, elle revient saluer, seule, accompagnée du chef d’orchestre, avec un bouquet de roses et enfin les applaudissements se tarissent pour laisser place à des conversations spontanées.

- Superbe !
- Elle est si jeune !
- Quel jeu d’archet !
- C’est la troisième fois que je l’entends.

Charles a l’impression qu’on lui parle d’elle, personnellement. Il suit la foule qui vide le théâtre et dès qu’il est dans la rue, il contourne le bâtiment pour rejoindre les loges. Déjà un petit groupe d’admirateurs se presse devant l’entrée. Il se faufile au premier rang et dès que la porte s’entrouvre il s’engouffre. Dans sa loge plusieurs musiciens en frac et des femmes en robe du soir, la pressent de compliments. Que lui dire : Vous êtes belle, vous jouez à merveille, je vous aime ?

- Ah, Charles ! quel plaisir de vous voir !

Il ne sait pas quoi répondre. Il est pour la première fois de sa vie paralysé par la timidité.

- Vous ne vous êtes pas ennuyé ? Lalo est un peu…difficile.. à suivre par instant.
- Oui peut-être mais vous, vous êtes la fée qui avez touché mon cœur de son archet magique.
- Comme c’est joliment dit…Vous vous joignez à nous pour un souper après le concert ?
- Je ne sais pas…
- Cette fois, c’est le théâtre qui nous invite !
- Alors, dans ce cas…
- Je vous laisse quelques minutes. Je signe quelques autographes sur les programmes avec le maestro Raymondo Plazzi et nous y allons.

Il la regarde sourire à ses admirateurs, leur dire quelques mots, rire joyeusement, fermer ses grands yeux, signer son nom au bout de sa divine main nue et parfois gonfler sa poitrine d’un soupir d’aise. Au restaurant, elle est placée juste en face de lui. Il écoute les conversations qui tournent autour de la musique, des instruments ou des tempos. Du fond de son silence, il la regarde. Parfois, elle plonge son regard dans ses yeux avec une telle beauté qu’il en tremble. Il n’a aucune occasion de lui parler directement. Il en devient malheureux. Enfin, avant que le taxi ne l’emporte, alors qu’elle est toujours entourée de très près, il s’approche d’elle.

- Voulez-vous que nous prenions le petit déjeuner à votre hôtel demain, avant le départ du train de retour.
- D’accord, 8 heures 30, le train n’est qu’à 11 heures, ça vous convient ?
- Oui bien sûr.
- Comment avez-vous deviné que je rentre demain ?
- Simplement parce que je vous aime.

Elle rit aux éclats et s’engouffre dans le taxi.

Charles repart à pied dans les rues sombres qui entourent le théâtre et avant de rejoindre son hôtel, il s’arrête boire une bière dans une bodega où tout le monde parle encore de del Saro

- Quelle corrida !
- Du grand art, de la pure magie, de la veine de diable…

Il quitte la bodega le cœur dans les étoiles. Il se couche mais ne s’endormira que tard dans la nuit.

Tôt le lendemain, iI arrive dans la salle des petits déjeuners du Clos Fontaine. Il s’assied du côté de la cour intérieure. Le serveur s’approche.

- Pas tout de suite, j’attends quelqu’un.

Il observe les clients autour de lui. Il attend. Une pendulette sonne la demie. Il devient de plus en plus nerveux. Le temps lui paraît de plomb. Il n’ose pas regarder l’entrée de la salle. Il ne veut pas toucher le couteau à beurre de peur de laisser paraître son trouble. Une voix le fait sursauter. Ce n’est pas elle.

Un réceptionniste s’approche de lui, presque par surprise.

- Monsieur Charles Mourier ?
- Oui, lui-même.
- Madame Bernstein m’a prié de vous remettre cette note.

Un frisson glacial traverse tout son corps.

- Merci.

Avant d’ouvrir l’enveloppe, il se sert un café d’une cafetière en argent posée sur la table.

« Cher Charles,

Désolée de vous décevoir.
Je pars, dès cette nuit, en voiture, pour Paris.
Mon frère vient de perdre la vie.
Il s’est suicidé.
Ne cherchez pas à me revoir.
J’ai trop de chagrin.
Marianne»

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